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LE VOLEUR

journaux relatant les faits et gestes des hommes au pouvoir pour se sentir fiers de leur conscience. Soit. Mais entendons-nous bien…

Et, puis, à quoi ça sert-il, qu’on s’entende ?

J’aime beaucoup mieux rentrer chez moi — tout seul, cette fois-ci. — Je viens de rompre avec une Allemande qui m’annexait depuis quinze jours, et je refuse de la remplacer par une Danoise. Je veux avoir le temps de pleurer mes veuves.

Pleurs de commande ! larmes de crocodile ! — Pas du tout ! — Affliction candide ; deuil sincère… Hé ! quoi ! vous prenez bien la Vie de Bohème au sérieux, et vous mouillez vos mouchoirs quand Musette quitte Rodolphe, à tous les coins de page, pour aller cueillir la fraise chez des banquiers, lorsque Mimi lâche Marcel sous des prétextes qui n’en sont pas. Et vous refuseriez de croire à ma douleur profonde parce que mes petites amies ne me donnaient pas les raisons de leurs sorties, parce que je ne vous ai pas dit qu’elles étaient phtisiques, parce que je n’essaye point de faire croire que mes barbouillages sont des tableaux et mes rébus de mirlitons, des vers ? C’est bien curieux !

D’ailleurs, ça m’est égal. J’ai la larme à l’œil, et c’est un fait. Mais oui, il y a toujours eu de la vie, dans ces liaisons peu dangereuses, mais passagères ; c’est mort vite, mais ça a vécu. Et de la poésie aussi, si vous voulez le savoir ; car ils n’étaient pas plus vulgaires, ces mariages à la colle, que bien des mariages à l’eau bénite. Et j’ai des corbillards de souvenirs…

Ah ! voilà le chiendent, les souvenirs ! L’un ne chasse pas l’autre, au contraire… Ils s’attachent à votre peau comme la tunique du Centaure.

— C’est bien fait, me dit Paternoster à qui je vais confier mes chagrins, avec le vague espoir qu’il me payera très cher, pour me consoler, un paquet de titres que je lui apporte. C’est bien fait. Ça vous apprendra à jouer à l’homme sensible, à aller cher-