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LE VOLEUR

beau-père le brodeur qui semblait vraiment s’être échappé, effaré et surchargé de citations latines, du « Réquisitoire à travers les Âges ! » Auriez-vous ri des félicitations, et des vœux, et des compliments, et des demandes, et des réponses, et des mensonges — et des mensonges ! — Il en pleuvait. Pensez si je contribuais à l’averse !… Enfin, c’est fait. Je suis Madame de Bois-Créault. L’église le proclame et l’état-civil le constate. L’anneau conjugal brille à mon doigt. Ah ! elle a été dure à conquérir, cette bague ! Que de luttes, pendant ces quinze jours ! Que de comédies et de drames, dont vous ne vous doutez pas ! Heureusement, je ne suis plus la petite femme apeurée qui se pressait contre vous — vous souvenez-vous ? — et qui tremblait devant les gros yeux que lui faisait l’avenir. Je suis une vraie femme — la femme forte de l’Évangile, mon cher. — Et, tenez, pour vous le prouver, il faut que je vous fasse le récit de tout ce qui s’est passé, à présent que je suis retirée dans cette chambre nuptiale que j’habite seule, naturellement, et dont je viens de fermer la porte à clef. Il est minuit et je n’aurai pas fini avant trois heures, car c’est un roman que j’ai à vous écrire, un roman des plus curieux, des plus bizarres et des plus mouvementés, un roman romanesque. Je commence… Mais laissez-moi d’abord aller arracher à mon immaculée robe blanche une de ces fleurs d’oranger, symbole de pureté et d’innocence, image de mon cœur, que je veux mettre dans l’enveloppe, une fois mon roman terminé… »

Je relis la lettre par laquelle Hélène, il y a trois semaines, m’annonçait son mariage. J’en ai reçu une autre, d’elle aussi, tout à l’heure ; elle m’y apprend qu’elle vient de quitter irrévocablement l’hôtel de Bois-Créault et qu’elle va partir pour la Suisse. D’ailleurs, elle ne me donne aucun détail sur les circonstances qui ont servi de prétexte à son départ, ni sur ses intentions. « Ne soyez point inquiet de moi, me dit-elle ; je suis prête à engager la grande lutte de