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LE VOLEUR

ter votre genre actuel d’existence, vous vous étiez aperçu que, dans tous les conflits avec le monde, la sensibilité de la nature et la délicatesse du caractère entravent le malheureux qui en est béni ou affligé bien plus que ne pourrait faire l’accumulation en lui de tous les vices ; et vous vous êtes décidé à faire table rase de toute espèce de sentiments. Peut-être est-il nécessaire d’agir ainsi. Je ne sais pas, mais j’en ai peur. Oui, c’est ce qui me fait redouter cette existence d’aventurière que je vais commencer. S’il ne fallait que rester à l’affût des occasions ou les faire naître, demeurer perpétuellement sur la défensive devant les entreprises des autres, cela irait encore. Mais se méfier sans trêve de soi-même, se tenir en garde contre tous les entraînements de l’esprit et les élans du cœur… Quelle vie ! C’est agir comme les Barzot qui déplorent, quand ils sont vieux, la sécheresse de leur âme. Oui, dans un sens contraire, c’est agir comme eux… Enfin, ce qui est fait est fait. Amis tout de même, n’est-ce pas ?

Oh ! certainement. D’autant plus qu’elle n’a pas tort. Mais… mais…

Je l’ai revue tous les jours pendant cette semaine, la blonde. Ses cheveux d’or très ancien relevés sur la blancheur satinée de la nuque, sa carnation glorieuse qui crie la force du sang fier gonflant les veines, les molles ondulations et les inflexions longues de sa chair qui s’attend frémir, toute sa grâce de fleur printanière, la splendeur triomphante de sa jeunesse radieuse… Ah ! si elle avait dit un mot, encore ! Mais ses lèvres s’étaient scellées et ses beaux yeux sont restés muets.

— Qu’importe ! me disais-je quand je l’avais quittée. Elle est assez belle et assez adroite pour se créer rapidement une autre existence que celle que je pourrais lui faire. Et pour moi… Rien de plus ridicule que d’être le second amant d’une femme, d’abord ; quand on n’a pas été le premier, on ne peut succéder qu’au sixième…