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LE VOLEUR

votre enfant une belle-mère de son âge ! Et vous prépareriez son avenir, comme vous dites, en vous alliant à la fille d’un malfaiteur ! Mais c’est insensé !

Barzot baisse la tête. Le monde doit lui sembler bien mal fait, réellement.

— Qu’il vous est donc difficile, dis-je, de voir les choses telles qu’elles sont ! Il faut toujours, même quand vous êtes sincères, que vos intérêts s’interposent entre elles et vous. Vous avez beau vouloir agir avec bonté, vous restez des égoïstes ; vous avez beau vouloir faire preuve de pitié, vous demeurez des implacables. Et vous espérez trouver chez les autres ce qu’ils ne peuvent trouver chez vous. L’expiation !… Vous êtes-vous seulement demandé ce que cette jeune fille, que vous avez achetée, a souffert ? Savez-vous ce qu’elle a éprouvé, hier soir, lorsqu’on est venu arrêter son père, sur vos ordres sans doute, — son père relégué au bagne en dépit de toute équité, et pour satisfaire les rancunes de malandrins politiques ? — Vous doutez-vous de ce que devrait être votre expiation, pour n’être pas une pénitence dérisoire ?… Et avez-vous pensé, aussi, que votre victime vous laisserait là, vous et votre complice, sans plus s’inquiéter de vous que si vous n’aviez jamais existé, si elle trouvait une sympathie assez grande pour lui emplir le cœur ?… Non, ce sont là des choses que vous ne pouvez imaginer ; elles sont trop simples… Rien ne se répare, Monsieur, et rien ne se pardonne. On peut endormir la douleur d’une blessure, mais la plaie se rouvrira demain, et la cicatrice reste. On peut oublier, par fatigue ou par dégoût, mais on ne pardonne pas. On ne pardonne jamais… Voyons, Monsieur. Mlle Canonnier désire se marier et elle vous demande, en échange du silence qu’elle gardera, de vouloir bien assurer ce mariage dans le plus bref délai ; cela vous sera facile, car vous aurez à vous adresser à des gens qui ont autant d’intérêt que vous à éviter un scandale. C’est avec M. Armand de Bois-Créault que mad…