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LE VOLEUR

bassesses et son âme aux hypocrisies ; il faudrait qu’il comprît tout et qu’il eût les mains pures — et peut être, alors, qu’il ne voudrait pas condamner…

J’écoute, sans aucune émotion. Des blagues, tout ça ! Verbiage pitoyable de vieux renard pris au piège. S’il n’avait pas peur de moi, il me ferait arrêter, en ce moment, au lieu de m’honorer de ses confidences. Quand on raisonne ainsi, d’abord, et qu’on n’est pas un pleutre, on quitte son siège et l’on rend sa simarre, en disant pourquoi.

— En venant ici, continue Barzot, j’avais pris une grande résolution. Je crois que tout peut se réparer ; l’expiation rachète la faute et fait obtenir le pardon. J’étais décidé à donner ma démission le plus tôt possible ; et à offrir à Mlle  Canonnier telle somme qu’elle aurait pu souhaiter, ou bien, dans le cas — que j’avais prévu — où elle aurait refusé toute compensation pécuniaire… Vous venez de me dire, Monsieur, que Mlle  Canonnier désire se créer une position sociale, et qu’elle veut se marier. Eh ! bien, moi aussi j’avais pensé qu’un mariage était la seule réparation possible, et j’y suis prêt…

J’éclate de rire.

— Vous y êtes prêt ! Et vous espérez — non, mais, là, vraiment ? — vous croyez qu’elle voudrait de vous ?… Mais, sans parler d’autres choses, vous avez soixante ans, mon cher Monsieur, dont quarante de magistrature, qui plus est ; et elle en a dix-neuf. Et vous pensez qu’elle irait river sa jeunesse à votre sénilité, et enterrer sa beauté, dont vous auriez honte, dans le coin perdu de province où vous rêvez de la cloîtrer ?… C’est ça, votre sacrifice expiatoire ? Diable ! il n’est pas dur. À moins que vous n’ayez l’intention d’instituer légataire universelle votre nouvelle épouse, et de vous brûler la cervelle le soir même du mariage ?

— Si je le pouvais, dit Barzot, très pâle, je le ferais, Monsieur. Mais j’ai une fille, une fille qui a dix-huit ans, et dont je dois préparer l’avenir…

— Et vous n’hésiteriez pas, m’écrié-je, à donner à