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LE VOLEUR

Nous y sommes. Je me retourne ; le fiacre est à cent pas en arrière, et j’aperçois un des policiers qui excite le cocher à pousser sa bête. Imbécile ! La campagne est devant nous, très sombre. Tout d’un coup, j’enlève le cheval d’un coup de fouet et le panier roule à fond de train, file comme une flèche. Les lanternes du fiacre paraissent s’éteindre lentement dans la nuit ; on finit par ne plus les voir. Je prends une route à gauche, je ralentis l’allure du cheval ; et, pendant vingt minutes environ, nous roulons dans les ténèbres. Mais voici des lumières, là-bas ; c’est Ixelles.

— Dans un quart d’heure, dis-je à Hélène qui a gardé le silence depuis notre départ de l’hôtel, nous serons arrivés. À moins que le cheval ne sache parler, celui qui pourra dire où vous passerez la nuit sera malin.

— Vous irez voir Barzot demain matin ? me demande-t-elle.

— Oui ; et le soir je viendrai vous rendre compte du résultat de l’entrevue.

— Écoutez, dit-elle en se serrant contre moi ; écoutez et répondez-moi : Croyez-vous que je fasse bien d’agir comme je veux le faire ? Pour moi-même, j’entends. Croyez-vous que je fasse bien ? Il m’a semblé voir tout mon avenir, tout à l’heure, quand nous passions à toute vitesse dans ces chemins sombres que rougissaient devant nous les rayons des lanternes. Ce sera ma vie, cela. Une course effrénée dans l’inconnu, avec les reflets sanglants de la colère et de la haine pour montrer la route, à mesure que j’avancerai. Ne pensez-vous pas que ce sera horrible ? Ne pensez-vous pas que j’aurais une existence plus heureuse si je brûlais ce soir les lettres qui sont là, et si…

Sa main glacée se pose sur la mienne.

— Oh ! si vous saviez comme je voudrais être aimée ! Je le voudrais… C’est à en mourir ! Je m’étourdis avec des mots… Oui, c’est ça que je veux : qu’on m’aime !… Voulez-vous m’aimer, vous ? Vou-