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LE VOLEUR

— Oui, dit Hélène dont toute la physionomie exprime une force de volonté extraordinaire et dont la voix vibre comme la lame fine d’une épée. Écoutez-moi bien et vous me comprendrez. Je suis ambitieuse et je veux me venger du mal qu’on m’a fait. Je suis jeune, je suis belle, je crois à la force. C’est très bien, mais ça ne suffit pas. Je n’ai pas de nom. Je puis m’en faire un ? Un sobriquet, comme les cocottes, oui. Mais je ne veux pas être une cocotte ; je veux être pire ; et, pour cela, j’ai besoin d’un nom, d’un vrai nom. Je suis Mlle Canonnier. Il faut que je sois Mme de Bois-Créault. — Ne me dites pas que ces gens-là refuseront. Ils n’oseront pas refuser. Un refus les mènerait trop loin. Vous savez combien on est avide de scandale, en France, et combien les journaux seraient heureux de traîner dans la boue toute une famille appartenant à la noblesse de robe, et surtout Barzot !… Barzot ! Il faut qu’il soit mis au courant de mes volontés le plus tôt possible, et que ce soit lui qui aille porter mes conditions aux Bois-Créault… Le mariage et le silence, ou bien le déshonneur le plus complet, le plus irrémédiable… Oh ! soyez tranquille, continue Hélène, ce n’est que le mariage considéré comme acte d’état civil qu’il me faut. M. Armand de Bois-Créault ne sera mon mari que de nom, ainsi que dans certains romans. Non pas que j’aie le culte de ma vertu, oh ! pas du tout. Une femme qui s’est laissée toucher une fois, une seule fois, par un homme qu’elle n’aime pas, sait assez dédoubler son être pour n’attacher aucune importance à des actes auxquels son âme reste étrangère et auxquels son corps, même, ne participe que par procuration. Mais il ne faut pas que je sois enceinte de cet être-là. Cela dérangerait mes projets… Remarquez bien que tout peut se faire le plus simplement du monde. Les Bois-Créault, qui ont l’espoir de me voir revenir, — et ils ne se trompent plus maintenant — n’ont guère ébruité mon départ. Si l’on s’en est aperçu, on l’expliquera par les tentatives audacieuses du fils contre mon in-