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LE VOLEUR

un grand ouvrage qui paraîtra sous ce titre : « Du réquisitoire à travers les âges. » Vous voyez que je suis bien renseigné. Son fils, M. Armand de Bois-Créault, n’a point d’occupation définie et se contente, je crois, de mener la vie à grandes guides. Quant à Mme  de Bois-Créault, c’est une femme dont le caractère est hautement apprécié. Je me la figure un peu comme l’Égérie vieillie de Numas en simarres, et il me semble apercevoir des spectres de Rhadamantes modernes autour de sa table à thé.

— Je ne sais pas si c’est une Égérie, dit froidement Hélène. Je sais que c’est une maquerelle.

Je sursaute sur ma chaise.

— Une… ?

— Oui ; vous avez bien entendu… Excusez-moi d’avoir employé un pareil terme, mais c’est le seul qui convienne, en bonne justice, à cette dame dont le caractère est si hautement apprécié… Je vous prie encore, Monsieur, de ne point vous formaliser si je vous fais des révélations dont l’ignominie vous surprendra. Ni votre éducation ni votre situation sociale ne vous ont habitué à entendre des choses comme celles que j’ai à vous dire. Pourtant, ces choses, il faut que je vous les apprenne. Vous m’avez offert votre appui pour l’avenir et il est juste, puisque je l’ai accepté, que vous n’ignoriez rien de mon existence passée.

Je m’incline et Hélène poursuit :

— Mon père vous a appris, j’en suis sûre, que ma mère est morte il y a quatre ans environ ; vous savez aussi qu’elle était au service de Mme  de Bois-Créault et que je me trouvais chez cette dame au moment où ce malheur survint. Mme  de Bois-Créault résolut de ne plus me renvoyer au couvent et de me garder chez elle. On l’a fort louée de sa bonne action ; on admirait qu’elle me traitât comme sa fille et qu’elle m’eût, par le fait, adoptée ; et, à l’heure actuelle, on me reproche amèrement ma coupable ingratitude… J’avais à peu près quinze ans quand je vins habiter