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LE VOLEUR

choses, car il prend le parti de ne plus se gêner devant moi.

— Dubourg peut se flatter d’avoir de la chance, dit-il à ma mère, à déjeuner ; il ne sera pas poursuivi ; il a remboursé, et on se contente de ça. Moi, je ne comprends pas ces indulgences-là ; c’est tout à fait démoralisant ; le crime ne doit jamais, sous aucun prétexte, échapper au châtiment.

— Jamais, dit ma mère. Mais on aura eu égard à son âge.

— Belle excuse ! Raison de plus pour n’avoir pas de pitié. Une cocotte ! Une danseuse !… Une liaison qui durait depuis des mois — depuis des années, peut-être… Connais-tu rien de plus immoral ? Et monsieur fouille à pleines mains dans les caisses publiques pour entretenir ça !… Comme sous l’Empire ! Comme sous Louis XV !… Et, quand on le prend sur le fait, on lui pardonne, sous prétexte qu’il a cinquante-cinq ans de vie irréprochable et que ses cheveux sont blancs !

— Ce n’est guère encourageant pour les honnêtes gens, dit ma mère. On éprouve un tel soulagement à lire, dans les journaux, les condamnations des fripons… Enfin, jugement ou non, on est toujours libre de fermer sa porte à des gens pareils, heureusement…

— C’est ce qu’on fait partout pour Dubourg, sois tranquille. J’ai donné des ordres, ici. Et quant à toi, Georges, si par hasard tu rencontres Albert, je te défends de lui parler. Je te le défends ; tu m’entends ?

Je n’ai pas rencontré Albert. Mais le surlendemain matin, comme je suis assis, au fond du jardin, à côté de mon père qui lit son journal, je vois arriver M. Dubourg. La domestique, par bêtise ou par pitié, lui aura permis d’entrer.

— La sotte fille ! dit mon père. Elle aura ses huit jours avant midi.

Mais M. Dubourg est à dix pas. Je sens que je vais être bien gênant pour lui, qu’il ne pourra pas dire,