Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/276

Cette page a été validée par deux contributeurs.
259
LE VOLEUR

aussi quelquefois des histoires d’aventures dans lesquelles évoluent de belles dames, des jeunes filles persécutées, des traîtres abominables, de grands seigneurs très braves, et aussi des voleurs généreux qui donnent aux pauvres ce qu’ils prennent aux riches.

— Ce sont des hommes d’ordre, dit Canonnier ; ils veulent mettre les pauvres en mesure de payer leurs impôts.

— Mais je n’ai pas lu d’autres romans, reprend Hélène en souriant. On dit qu’il y a des auteurs si intéressants, aujourd’hui ! qui vous font voir la vie telle qu’elle est et qui sont arrivés à démonter le mécanisme des âmes avec une précision d’horlogers.

— Oui ; ils sont de deux sortes : ceux qui aident à tourner la meule qui broie les hommes et leur volonté ; et ceux qui chantent la complainte des écrasés. En somme, ils écrivent l’histoire de la civilisation.

— Qu’est-ce que c’est que la civilisation ?

— C’est l’argent mis à la portée de ceux qui en possèdent, dit Canonnier.

— Et qu’est-ce que c’est que l’argent, père ?

— Demande à Randal.

— Non, Mademoiselle, ne me le demandez pas. Je ne pourrais pas vous répondre ; et d’autres ne le pourraient pas non plus. On ne sait point ce que c’est que l’argent.

Deux servantes, qui apportent le dessert, entrent dans le salon.

— Eh ! bien, dit Canonnier dès qu’elles sont sorties, puisque nous sommes entre la poire et le fromage, comme on dit, et que c’est le moment généralement choisi pour parler à cœur ouvert, je veux vous exposer à tous deux, et surtout à toi, Hélène, mes idées sur la civilisation et sur l’argent. Je veux vous dire, ajoute-t-il pendant que le visage de sa fille s’éclaire de joie, non seulement ce que je pense, mais ce que j’ai l’intention…

Trois coups secs frappés à la porte lui coupent la parole.

— Entrez, dit-il.