pas… On dit qu’il y a beaucoup de malheureux, mais on exagère peut-être… Il doit exister une certaine somme de souffrance, pourtant, puisque les pauvres se sont révoltés à plusieurs reprises… Mais, chaque fois, ils se sont si bien conduits ! Ils n’ont jamais déshonoré leur victoire… Père, est-ce que tu n’as pas aussi de la sympathie pour les faibles, pour les malheureux ?
— Si j’allais avec les déshérités, s’écrie Canonnier qui oublie son rôle, ce ne serait pas parce qu’ils sont les plus faibles, mais parce qu’ils sont les plus forts ! On se conduit bien lorsqu’on se conduit intelligemment. Il n’y a qu’un moyen de ne pas déshonorer la victoire : c’est d’en profiter.
Un éclair brille dans les yeux d’Hélène.
— Père, demande-t-elle en se penchant anxieusement vers lui, tu crois à la force ?
— Mon Dieu ! mon enfant, répond Canonnier, je… je…
— C’est le droit seul, dis-je en venant à son secours, qui légitime l’usage de la force ; par conséquent, les lois étant l’expression du droit…
— Ah ! s’écrie Hélène en riant, il me semble être encore dans le salon de Mme de Bois-Créault ; on y parlait comme vous le faites… C’était charmant… Certes, je suis très heureuse de suivre mon père, et c’est mon devoir strict ; je ne regrette rien. Mais mon existence était tellement délicieuse, chez Mme de Bois-Créault ! Je ne manquais pas une première ; toujours en soirée, au bal, comme si j’avais été sa propre fille !
Je me hâte de prendre la parole, car je m’aperçois que les émotions du souvenir vont gagner Hélène, au déplaisir certain de son père.
— Je vois, Mademoiselle, que vous étiez fort occupée ; il vous restait sans doute bien peu de temps… pour lire, par exemple ?
— Oh ! si, Monsieur, je lisais beaucoup. Même des romans. Des romans convenables, surtout ; mais