Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/274

Cette page a été validée par deux contributeurs.
257
LE VOLEUR

— Oh ! j’ai appris toute seule. Au couvent, c’était très gentil. Les sœurs venaient nous réveiller le matin en criant : Vive Jésus ! Nous répondions : Vive Jésus ! les yeux encore mi-clos, et ça continuait toute la journée à peu près sur le même ton.

Canonnier fait la grimace.

— L’instruction est une belle chose, dit-il.

— Oui, répond Hélène. L’instruction qu’on donne aux jeunes personnes, surtout. Elle les met merveilleusement en garde contre toutes les tentations du monde. Cependant, il n’y a pas de système infaillible… Ainsi, une de mes amies de couvent, qui s’était mariée à dix-huit ans, vient de faire parler d’elle d’une façon désagréable ; son mari demande le divorce. Il faut qu’elle ait cédé à des entraînements… Certains hommes manquent tellement de sens moral, paraît-il !… Et, même dans la nature, on voit malheureusement ces choses-là ; car le coucou annexe le nid du voisin. C’est un bien vilain oiseau. Mais il a l’air de se vanter si joyeusement à vous de son infamie, quand on se promène dans les bois…

— Pendant que le loup n’y est pas.

— Le loup n’y est jamais, dit Canonnier ; il est dans la bergerie, en train de se faire tondre par les moutons.

— Tu sembles bien misanthrope, père ; mais tu as certainement vu le monde autrement que moi. Moi, je n’ai jamais connu que de beaux caractères.

— Oh ! il n’en manque pas, assure audacieusement Canonnier. Dieu merci ! il y a encore des gens d’honneur.

L’honneur ! Un noyé qui revient sur l’eau… Hélène continue, de sa voix riche, captivante, où vibre pourtant une émotion étrange, comme la nervosité amère de l’ironie qu’on dompte, comme le frémissement lointain de colères qu’on ne veut pas évoquer.

— Je dois dire que je n’ai guère vu que des gens riches ; et les personnes qui possèdent la fortune sont toujours si aimables ! Quant aux autres, je ne sais