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LE VOLEUR

s’était introduit, il y a trois mois, dans la maison d’un bourgeois. Le bourgeois, qui l’a surpris la pince à la main, lui a brûlé la cervelle. On ne l’a point poursuivi. Il était dans son droit. Il était chez lui.

Où donc sont-ils chez eux, les pauvres ?…


Hélène est devant moi.

Une grande jeune fille, belle. Malgré la masse de ses cheveux, d’un superbe blond aux reflets verdâtres, elle semble plutôt un éphèbe qu’une femme. Rien d’accusé en elle ; tout est à deviner, mais tout est rythmique. Chose rare chez la Française, l’expression de la tête ne contredit point celle du corps ; elle n’a pas une tête apathique de chérubin de sacristie équivoque, aux lèvres lourdes, au petit nez épaté, aux yeux d’animal stupéfait, sur un corps d’automate en fièvre. Elle a l’harmonique beauté des statues. Je regarde ses yeux, pendant qu’elle me parle ; ils me font penser, d’abord, à ces oiseaux dont le vol se suspend sur la mer, qui prennent en frôlant les flots la teinte sombre de l’océan, et qui se colorent d’azur lorsqu’ils s’approchent de la nue. Mais, non ; la nuance de ces yeux-là n’est point variable, et leur silence ne se dément pas. Ils ont la couleur du ciel bleu reflété par une lame d’acier. Ni lumière ni ombre — ni lumière de joie ni ombre de tristesse — n’en viennent troubler la surface calme. Mais on a conscience, derrière cet inflexible dédain d’expression, de quelque chose d’infiniment doux, intelligent et féminin. J’ignore son nom, à ce quelque chose ; mais il est là, si loin que ce soit, masqué par la fixité fière et froide de ces grands beaux yeux taciturnes.

Hélène m’a adressé quelques phrases aimables que je lui ai rendues, Canonnier a déclaré qu’il était très heureux de mon arrivée, et nous nous sommes mis à table.

— Non, Monsieur, répond Hélène à une question que je lui pose, je n’ai pas beaucoup voyagé. J’ai été deux fois à Dieppe, trois fois à Dinard, une fois à