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LE VOLEUR

la table, témoin muet, mais irrécusable, de ma curiosité perverse. Mon grand-père sourit.

— Tu lis le Code ! Ça t’amuse, de lire le Code ? Ça t’intéresse ?

Je fais un geste vague. Ça ne m’amuse pas, certainement : mais ça m’intéresserait sans aucun doute, si l’on me laissait continuer. Telle est, du moins, mon opinion. Opinion sans valeur, mon grand-père me le démontre immédiatement.

— Pour lire le Code, mon ami, il ne suffit pas de savoir lire ; il faut savoir lire le Code. Ce qu’il faut lire, dans ce livre-là, ce n’est pas le noir, l’imprimé ; c’est le blanc, c’est ça…

Et il pose son doigt sur la marge.

Très vexé, je ferme brusquement le volume. Mon grand-père sourit encore.

— Il faut avoir des égards pour ce livre, mon enfant. Il est respectable. Dans cinquante ans, c’est tout ce qui restera de la Société.

Bon, bon. Nous verrons ça.


J’ai un autre souvenir, encore.

M. Dubourg est un ami de la famille. C’est un homme de cinquante ans, au moins, employé supérieur d’un ministère où sa réputation de droiture lui assure une situation unique. Réputation méritée ; mon grand-père, souvent un peu sarcastique, en convient sans difficulté : Dubourg, c’est l’honnêteté en personne. Il est notre voisin, l’été ; sa femme est une grande amie de ma mère et c’est avec son fils, Albert, que je joue le plus volontiers. J’ai l’habitude d’aller le chercher l’après-midi ; et je suis fort étonné que, depuis plusieurs jours, on me défende de sortir. Que se passe-t-il ?

J’ai surpris des bouts de conversation, j’ai fait parler les domestiques. Il paraît que M. Dubourg s’est mal conduit… des détournements considérables… une cocotte… la ruine et le déshonneur — sinon plus…

Mon père se doute que je suis au courant des