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LE VOLEUR

j’aie l’intention de m’en servir — je risquerais de réveiller cet honorable vieillard — mais pour l’imbiber de quelques gouttes d’un liquide contenu dans une petite fiole que je portais dans mon gousset. Ce liquide, c’est du chloroforme, toujours utile en voyage. Et, maintenant que le mouchoir en est suffisamment imprégné, je me lève tout doucement et je l’applique sous les narines du vieux monsieur. La tête du vieux monsieur se rejette en arrière, la bouche s’entr’ouvre pour laisser passer une plainte sourde, les paupières battent, et c’est tout. Le vieux monsieur se réveillera deux ou trois minutes après l’arrivée du train à Bruxelles. J’ai une grande expérience de ces choses-là.

Je lance par la portière le mouchoir et la fiole de chloroforme, par mesure de précaution ; je reprends ma place et je déplie un journal où l’on parle — quelle coïncidence ! — d’un nouveau système de sonnette d’alarme qu’on doit bientôt mettre en usage sur la ligne du Nord. Allons, il ne sera pas trop tôt ; le besoin s’en fait sentir, comme on dit dans la presse…

Le train ralentit son allure, pénètre sous la voûte de verre de la station ; il va s’arrêter. Je jette un regard sur le vieux monsieur ; ses mains se crispent et il semble faire des efforts désespérés pour ouvrir les yeux. Il est temps. Je tourne la poignée de la portière, je saisis mes deux valises — la mienne et l’autre — et je descends avec la légèreté qui me caractérise. Une minute après je suis dans un fiacre ; et un quart d’heure ne s’est pas écoulé que je fais mon apparition, à l’hôtel du Roi Salomon.

— Ah ! monsieur Randal ! s’écrie l’hôtelière dès qu’elle m’aperçoit. On ne parle que de vous, depuis ce matin.

— Qui cela ?

— Mais, une charmante jeune fille…

— Et puis, et puis !… M. Canonnier, l’avez-vous vu ?

— M. Canonnier ? Je crois bien, que je l’ai vu ! Il est là-haut, au premier étage ; il vous attendait ce matin pour déjeuner…