Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/258

Cette page a été validée par deux contributeurs.
241
LE VOLEUR

ment abasourdi ; ah ! vraiment, je ne m’attendais guère…

— Moi non plus ; et je suis bien heureux de vous rencontrer ; j’ai beaucoup de choses à vous dire. Laissez-moi vous emmener déjeuner et nous pourrons nous donner de nos nouvelles réciproques tout à notre aise.

— Je regrette beaucoup d’être obligé de refuser votre invitation, répond Issacar ; mais en ce moment je suis fort occupé…

— Occupé ! dis-je très haut, car je commence à croire qu’il y a du louche dans la conduite d’Issacar. Occupé ! Vous osez me raconter de pareils contes, à moi qui vous trouve dans la rue Saint-Honoré, le nez en l’air, rimant un sonnet à votre belle, alors que je vous crois aux prises avec les cannibales du Congo.

Je fais signe à un cocher dont la voiture vient s’arrêter devant nous.

— Allons, Issacar, dis-je en le prenant par le bras et en le poussant dans la voiture, vous me semblez avoir complètement oublié les usages européens dans ce Congo où vous avez sans doute fait fortune.

— Hélas ! non, répond-il tandis que je donne au cocher l’adresse d’un restaurant de la rue Lafayette.


— Non, me dit Issacar au dessert, non, je n’ai point fait fortune au Congo ; tant s’en faut. J’y ai perdu tout l’argent que j’ai voulu, et j’ai été obligé de revenir en France il y a un mois.

— Je croyais pourtant que vous aviez une belle idée…

— Oh ! superbe ! Seulement, je n’ai pas pu la réaliser. Je m’y étais pris trop tôt. Celui qui pourra, dans deux ans, tenter ce que j’ai essayé, fera certainement une fortune.

— Vous n’avez pas de chance.

— Non. J’ai des idées excellentes, mais je ne puis jamais reconnaître le moment propice à leur exécution.