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LE VOLEUR

— Et elle déclare qu’elle suivrait son père au bout du monde, s’écrie Ida, et que son devoir est de tout lui sacrifier. Ah ! qu’elle est charmante ! Aussi innocente que l’enfant qui vient de naître… Elle est restée ici depuis hier soir. Elle est désolée de causer du chagrin, par son départ, à ces Bois-Créault qui ont toujours été si parfaits pour elle ; mais son père, dit-elle, doit passer avant tout. Elle le croit menacé…

— Oui, dit Canonnier. Je lui avais appris dans ma lettre, afin de la décider, que j’étais poursuivi pour mes opinions politiques ; et — vois si elle est intelligente — elle a fait une remarque qui m’a empêché sans doute de me faire pincer en allant te retrouver hier soir.

— Ah ! bah ! dis-je ; et comment cela ?

— On savait, continue Canonnier, que c’était pour venir chercher ma fille en France que j’avais quitté l’Amérique. On le savait ; j’ai été trahi par quelqu’un… Mais je te raconterai ça plus tard. Et, comme on ignorait où j’étais passé depuis mon départ des États-Unis, on faisait surveiller l’hôtel de M. de Bois-Créault, où demeurait Hélène. Ma fille, hier, en quittant cet hôtel, a remarqué qu’un individu qu’elle voyait depuis plusieurs jours devant la maison s’était mis à la suivre. Elle a essayé de le dépister, mais vainement ; c’est un malin. Elle m’a prévenu de la chose ; j’ai vu le personnage en faction sur le trottoir d’en face, et tu comprends que je ne suis pas sorti.

— Et la surveillance continue-t-elle ?

— Je te crois, répond Canonnier. Si tu veux voir l’individu, viens ici…

Il va, tout doucement, lever le coin du rideau d’une fenêtre et me désigne, dans la rue, un Monsieur qui porte un lorgnon.

— Attends un peu, dis-je, laisse-le moi regarder attentivement… Bon. Ça suffit. Cet homme-là n’est pas un mouchard.

— Comment ! s’écrie Canonnier ; ce n’est pas…