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LE VOLEUR

de laine, enfourche à cru une chauve-souris déclouée de la porte du Grenier d’Abondance — qui n’a plus besoin de porte, à présent !

Il va être onze heures, et toujours pas de Canonnier. C’est embêtant ; j’aurais bien voulu le revoir, et je ne puis pas revenir, comme cela, l’attendre tous les soirs pendant un mois sur la place du Carrousel. J’ai reçu, en rentrant chez moi, une lettre de Roger-la-Honte qui me demande de me trouver à Bruxelles dans trois ou quatre jours… Non, j’ai beau regarder du côté des guichets qui donnent sur le quai et du côté de ceux de la rue de Rivoli, je n’aperçois pas mon homme. Je ne vois que le factionnaire qui monte la garde, là-bas, devant le ministère des finances, et la statue de pierre du Grand Tribun dont le bras vengeur désigne la trouée des Vosges — à l’ouest.

Allons-nous-en. Demain, j’irai voir chez Ida si elle a des nouvelles, sans lui faire part de ma déconvenue de ce soir, au cas où elle ne saurait rien. Il ne faut point mettre les gens au courant de nos déceptions. Pensons-y toujours, n’en parlons jamais.


J’arrive chez Ida, rue Saint-Honoré, vers une heure de l’après-midi.

— Ah ! s’écrie-t-elle dès qu’elle pénètre dans le salon où je l’attends, il y en a, du nouveau ! Canonnier est ici, et sa fille aussi…

— Vraiment ! sa fille ! Et depuis quand ?

— Depuis hier soir, répond Canonnier qui a reconnu ma voix et qui fait son entrée. Dis donc, je t’ai laissé poser, hier soir ; excuse-moi, car je n’ai pu faire autrement.

Il m’explique ce qui est arrivé. Il est entré sans encombre à Paris, l’avant-dernière nuit. Hier matin, il a chargé Ida de faire remettre une lettre à sa fille ; et, toute la journée, il a attendu vainement une réponse. Mais cette réponse, c’est Hélène elle-même qui l’a apportée, vers sept heures du soir.