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LE VOLEUR

Mon grand-père… C’est un ancien avoué, à la bouche sans lèvres, aux yeux narquois, qui dit toujours que le Code est formel.

— Le Code est formel.

Le geste est facétieux ; l’intonation est cruelle. La main s’ouvre, les doigts écartés, la paume dilatée comme celle d’un charlatan qui vient d’escamoter la muscade. La voix siffle, tranche, dissèque la phrase, désarticule les mots, incise les voyelles, fait des ligatures aux consonnes.

— Le Code est formel !

J’écoute ça, plein d’une sombre admiration pour l’autorité souveraine et mystérieuse du Code, un peu terrifié aussi — et en mangeant mes ongles. — C’est une habitude que rien n’a pu me faire perdre, ni les choses amères dont on me barbouille les doigts, quand je dors, et qui me font faire des grimaces au réveil, ni les exhortations, ni les réprimandes ; mais mon grand-père, en un clin d’œil, m’en a radicalement corrigé.

— Il ne faut pas manger tes ongles, m’a-t-il dit. Il ne faut pas manger tes ongles parce qu’ils sont à toi. Si tu aimes les ongles, mange ceux des autres, si tu veux et si tu peux ; mais les tiens sont ta propriété, et ton devoir est de conserver ta propriété.

J’ai écouté mon grand-père et j’ai perdu ma mauvaise habitude. Peut-être que le Code est formel, pour les ongles.

J’ai voulu m’en assurer, un jour, quand j’ai été plus grand ; voir aussi ce que c’est que ce livre qui résume la sagesse des âges et condense l’expérience de l’humanité, qui décide du fas et du nefas, qui promulgue des interdictions et suggère des conseils, qui fait la tranquillité des bons et la terreur des méchants.

On m’avait envoyé, pendant les vacances, passer quelques jours chez mon grand-père. Une après-midi, j’ai pu m’introduire sans bruit dans la bibliothèque, saisir un Code, le cacher sous ma blouse et me réfu-