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LE VOLEUR

qu’il a toujours considéré la propriété, ce fruit légitime du labeur de l’homme, comme une chose sacrée — sacrée ainsi que la liberté, ainsi que la famille !

Là-dessus, une petite fille vêtue de blanc et coiffée d’un bonnet phrygien présente un gros bouquet tricolore qu’elle vient offrir, dit-elle en un gentil compliment, « à Mme  Courbassol, la vertueuse et dévouée compagne de notre cher député. » Margot prend le bouquet sans sourciller, remercie au nom de la République, embrasse la petite fille, et se dirige avec Courbassol vers un landau centenaire. La fanfare reprend la Marseillaise et la foule hurle :

— Vive la République ! Vive Courbassol !…

Les voitures, étant mises gratuitement au service du futur ministre et de sa suite, sont prises d’assaut en un clin d’œil. Une cinquantaine de personnes, au moins, restent en panne sur le trottoir. Mais l’omnibus de l’hôtel du Sabot d’Or fait son entrée dans la cour de la gare, suivi lui-même de l’omnibus de l’hôtel des Deux-Mondes, d’un char-à-bancs, d’une tapissière, d’un mystérieux véhicule en forme de panier à salade, d’une calèche préhistorique et d’un tape-cul.

Allons, il y a de la place pour tout le monde. On se case, on s’installe ; fracs du maire et des adjoints en face des redingotes officielles des députés et des costumes de voyage des journalistes, toilettes élégantes des horizontales vis-à-vis des robes surannées des dames de Malenvers. Les représentants du peuple se débraillent et manquent de tenue, les municipaux ont l’air de garçons de salle et leurs femmes de caricatures, les gens de la presse font l’effet de jockeys endimanchés et expansifs ; mais les cocottes sont très dignes.

Le cortège se met en marche dans l’ordre suivant : landaus, premier omnibus, char-à-bancs, tapissière, second omnibus, panier à salade, tape-cul et calèche antédiluvienne.

C’est dans cette calèche que j’ai pris place, ainsi