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LE VOLEUR

avec elle, de dépasser la camaraderie. Il ne faut pas me laisser tenter par des pensées qui commencent à m’assaillir ; et le seul remède est la fuite, comme le dit l’axiome si vrai de Bussy-Rabutin, volé par Napoléon. Il ne faut pas oublier trop longtemps, non plus, que je suis un voleur.

Voici bientôt deux mois que je me suis endormi dans les délices de Capoue — délices peu enviables, au fond, et qui m’ont coûté assez cher — et j’ai fort négligé mes affaires. On ne peut pas être en même temps à la foire — la foire d’empoigne — et au moulin. Et, maintenant, si j’allais avoir à lutter contre des sentiments plus sérieux que ceux qui conviennent à des amourettes de hasard…

Non, pas d’idéal ; d’aucune sorte. Je ne veux pas avoir ma vie obscurcie par mon ombre.

Cela m’épouvante un peu, pourtant, de retourner à Londres. C’est si laid et si noir, à côté de Paris ! On pourrait le chercher à Hyde Park, l’équivalent de cette allée des Acacias où je me promène en ce moment, l’idée m’étant venue, après déjeuner, d’aller prendre l’air au bois. Les femmes aussi, on pourrait les y chercher, ces femmes qui passent en des parures de courtisanes et des poses d’impératrices, au petit trot de chevaux très fiers, femmes du monde qui ont la désinvolture des cocottes, horizontales qui ont le port altier des grandes dames.

En voici une, là-bas, qui semble une reine, et qui a laissé échapper un geste d’étonnement en jetant les yeux sur moi. Un truc. Il y a tant de façons de faire son persil !… Tiens ! elle me salue. Je rends le salut… Qui est-ce ?

Obéissant à un ordre, le cocher fait tourner la voiture dans une allée transversale. Je m’engage dans cette allée ; nous verrons bien. La voiture s’arrête, la femme saute lestement à terre ; et, tout à coup, je la reconnais. C’est Margot, Marguerite, l’ancienne femme de chambre de Mme  Montareuil.

— Enfin, te voilà ! s’écrie-t-elle en se précipitant