Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.
209
LE VOLEUR

comble… Et si vous aviez pu voir la tête que vous faisiez !… C’est impayable. Si vous saviez ce que ça m’amuse, de connaître votre genre réel d’occupations et de vous voir ici !… Et mon mari qui vous croit ingénieur ! Quelle farce ! Non, l’on ne voit pas ça au Palais-Royal…

— Moi non plus, dis-je, je ne pensais guère avoir le plaisir de vous retrouver ce soir en madame Mouratet. Je m’y attendais si peu que je m’étais préparé pour une occasion possible et que j’avais glissé un rossignol dans la poche de mon habit.

— Vrai ? demande Renée en éclatant de rire. On n’imagine pas des choses pareilles. À qui se fier, je vous le demande ?… Ah ! le pianiste croate a fini ; attendez-moi un instant ; il faut que j’aille le remercier et lui demander un autre morceau ; la « Marche des Monts Carpathes. »

Elle revient une minute après, légère et jolie dans la ravissante toilette mauve qui fait valoir son charme de Parisienne.

— Ça y est. Je lui ai dit qu’il était le Strauss de demain. Pourquoi pas l’Offenbach d’hier ?… Écoutez, j’ai beaucoup de choses à vous dire, mais ce n’est guère possible à présent. Il faudra revenir me voir. Mais venez à mes five o’clock ; je suis beaucoup plus libre et nous pourrons causer à notre aise. Tenez, venez après-demain, et arrivez à quatre heures ; nous aurons une heure entière à nous. Et si vous voulez me faire un grand plaisir, ajoute-t-elle plus bas, apportez une pince-monseigneur. J’en entends parler depuis si longtemps, et je n’en ai jamais vu. Je voudrais tant en voir une !… Pour la peine, je vous ferai une surprise. J’inviterai les trois personnes que vous avez dévalisées sur mes indications, et je vous présenterai à elles. Croyez-vous qu’il y aura de quoi rire !… Non, vraiment, il n’y a plus moyen de s’embêter une minute, à présent… Ah ! si : voici le poète belge qui se prépare à déclamer l’« Ode au Béguinage. » Regardez-le là-bas, devant la cheminée.