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LE VOLEUR

avec vous certains sujets… Vous ne m’en voudrez pas de n’avoir pu prendre votre article tout à fait au sérieux ? Mon mari m’en a déjà grondée, mais… Nous en parlerons tout à l’heure, si vous voulez bien…

Je m’incline, sans pouvoir trouver une parole, tandis que Renée — car c’est elle — va recevoir une dame, parée comme une châsse, qui vient de faire son entrée.

Eh ! bien, elle peut se vanter d’avoir de l’aplomb, la petite poupée ! Ce n’est ni le sang-froid ni la présence d’esprit qui lui manque, et j’aurais laissé percer mon embarras plus visiblement qu’elle, à sa place. Son rire, peut-être nerveux et involontaire après tout, a sauvé la situation ; me permet d’expliquer mon trouble et mon mutisme, si l’on s’en est aperçu. Mais Mouratet n’a rien remarqué.

— Comment trouves-tu ma femme ? me demande-t-il en me conduisant dans son cabinet transformé en fumoir. Un peu enfant, hein ?

— Absolument charmante ; très spirituelle et très gaie. Je n’aime rien tant que la gaîté.

— Alors, vous vous entendrez facilement. C’est un vrai pinson. Parfois légèrement capricieuse et bizarre, mais très franche, et le cœur sur la main…

Et la main dans la poche de tout le monde. Ah ! mon pauvre Mouratet, je comprends que tout t’ait réussi depuis ton mariage, et que tu occupes aujourd’hui une aussi belle situation. « La faveur l’a pu faire autant que le mérite. » Et puis, de quoi te plaindrais-tu, au bout du compte, prébendé de la démocratie imbécile, acolyte de la bande qui taille dans la galette populaire avec le couteau du père Coupe-toujours ? Tu ne mérites même pas qu’on s’occupe de toi. C’est elle qui est intéressante, cette petite Renée qui tire si joliment sa révérence aux conventions dont elle se moque, qui fait la nique à la morale derrière le dos vert des moralistes, et qui passe à travers le parchemin jauni des lois les plus sacrées avec la grâce et la légèreté d’une écuyère lancée au