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LE VOLEUR

— C’est presque une affaire faite, dit Montareuil ; de hauts fonctionnaires du ministère nous ont promis leur concours, en principe ; ce n’est plus qu’une question de commission à débattre.

— N’allez pas croire, surtout, dit le criminaliste, que la Revue n’est point lue à l’air libre. Au contraire. On la discute partout, et elle est fort goûtée dans les milieux les plus divers. On admire surtout notre façon paternelle, bien que sévère, d’envisager le malfaiteur. Que voulez-vous, Monsieur ? Un criminel est un invalide moral ; c’est un pauvre hère à l’intellect chétif, assez aveugle pour ne point voir la sublime beauté de la civilisation moderne. Il fait partie, pour ainsi dire, d’une race spéciale et tout à fait inférieure. Eh ! bien, je suis certain qu’à l’aide d’un mélange savamment combiné de bienveillance et de rigueur, on arriverait en très peu de temps à transformer cette race.

Alors, quoi ? Je serais obligé de m’établir banquier — de fabriquer des serrures à secret, de vendre des chaînes de sûreté ?

— Je viens de vous dire, continue le criminaliste, que le malfaiteur est un invalide moral ; c’est aussi un invalide physique. N’en doutez pas, Monsieur ; tout criminel présente des caractères anatomiques particuliers. Il y a un « type criminel. » Certaines gens ont dit que chacun porte en soi tous les éléments du crime ; autant vaudrait répéter la fameuse phrase sur « le pourceau qui sommeille. » Rien de plus insultant pour le haut degré de culture auquel est parvenue l’humanité. C’est affirmer que les actes répréhensibles sont commandés par le milieu extérieur, ce qui ne soutient pas l’examen. Car enfin, Monsieur, où sont, dans l’admirable société actuelle, les causes qui pourraient provoquer des agissements délictueux ? Où sont-elles, s’il vous plaît ? Vous ne répondez pas, et vous avez raison. Ces causes n’existent point ; je ne dis pas que tout soit pour le mieux, mais, tout est aussi bien que possible ; et la marche du progrès est