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LE VOLEUR

— Ah ! les misérables ! Ne m’en dis pas plus long !… Je me sauve. Je viendrai t’enlever ce soir à sept heures.


Allez donc vous moquer des prédictions et rire des cartomanciennes ! Il n’y a pas cinq minutes que je me promène sur le boulevard, quand j’aperçois le jeune homme triste. En croirai-je mes yeux ? Il est accompagné de l’homme de robe. Philosophe, juge ou professeur, je ne sais pas ; mais homme de robe, c’est certain, bien que la robe s’écourte en redingote noire, en redingote à la papa. Ah ! homme de robe, tu as une bien vilaine figure, mon ami, avec ton nez camus, tes yeux couleur d’eau de Seine et ta grande barbe noire !

Quant au jeune homme triste, il n’y a pas à s’y tromper, c’est Édouard Montareuil en personne. Il vient à moi la main tendue, se dit très heureux de me rencontrer, me demande de mes nouvelles et, après que je lui ai rendu la pareille, me présente l’homme de robe.

— Monsieur le professeur Machin, criminaliste.

Saluts, poignées de mains, petite conversation météorologique ; après quoi nous disparaissons tous les trois, fort dignement, dans les profondeurs d’un café.

Et comment se porte Mme  Montareuil ? Pas trop mal, bien qu’elle soit toujours en proie, depuis ce malheureux événement — vous savez — à une profonde tristesse. Son fils la partage-t-il cette mélancolie ? Mon Dieu ! oui ; il ne s’en défend pas. Le coup l’a profondément touché ; il ne s’est pas marié ; il porte sa virilité en écharpe. N’a-t-il point essayé de réagir ? Si ; il a fait des tentatives héroïques, mais sans grand succès. Cependant, comme le chagrin, même le mieux fondé, ne doit pas condamner l’homme à l’inertie ; comme il faut payer à ses semblables le tribut de son activité, Édouard Montareuil s’est décidé à agir vigoureusement, à se lancer à corps