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LE VOLEUR

— Ils sont riches, ces Bois-Créault ?

— Oh ! oui ; surtout depuis trois ans. Ils ont fait un gros héritage, je crois. On prétend que le fils jette l’argent à pleines mains…

— Et le père ne met pas le holà ? J’aurais pensé qu’un ancien magistrat…

— Tu ne connais pas ces gens-là, répond Ida en souriant. M. de Bois-Créault est un homme d’étude qui passe son temps dans la retraite la plus austère. Il ne sait que ce qu’on veut bien lui apprendre, et ce n’est pas la mère qui irait l’instruire des fredaines de son fils. On le voit rarement dans le monde et, même chez lui, il n’apparaît aux réceptions données par sa femme que pour de courts instants. Il ne se plaît que dans son cabinet.

— Cherche-t-il la pierre philosophale ?

— Non ; il n’en a pas besoin. Il achève un gros ouvrage de jurisprudence, ou quelque chose dans ce genre-là ; une œuvre qui fera sensation, paraît-il. Ça s’appelle : « Du réquisitoire à travers les âges. » Les journaux ont déjà dit plusieurs fois qu’on en attendait la publication avec impatience. Mais, des travaux pareils, ça ne s’improvise pas, tu comprends.

— Heureusement… Et quelle est la commission dont te charge Canonnier ?

— Tu ne l’imaginerais jamais. Il me demande de faire parvenir à sa fille une lettre dans laquelle il lui annonce son prochain retour et la prie de se tenir prête à quitter ses bienfaiteurs et à venir le rejoindre, dès qu’il lui en donnera avis.

— Et tu ne sais pas comment faire tenir la lettre à Hélène ?

— Ah ! ma foi, si ; ce n’est pas là ce qui m’embarrasse ; un domestique, une ouvreuse au théâtre, un bedeau à l’église, pourvu que je leur graisse la patte, lui remettront tout ce que je voudrai. Mais tu ne vois pas ce qu’il y a d’abominable dans ce que fait Canonnier ? Engager sa fille à payer de la plus noire ingratitude les bienfaits d’une famille qui l’a accueillie