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LE VOLEUR

dans une villa appartenant à un des gros seigneurs de la République. Ce n’était pas de l’argent qui avait été enlevé, ni des valeurs, mais des papiers politiques de la plus haute importance, paraît-il. Canonnier était bien l’auteur du vol ; il avait dérobé les documents et les avait expédiés à un de ses amis, attorney à New-York. Mais on n’avait aucune preuve de sa culpabilité et l’on n’osa point l’arrêter. On se contenta de le filer sérieusement.

— Il n’avait qu’à quitter la France.

— C’est ce qu’il voulut faire. Il partit pour Bordeaux et s’y logea dans un hôtel quelconque, en attendant le départ du bateau qu’il voulait prendre. Le soir même de son arrivée, comme il rentrait après avoir passé la soirée au théâtre, il fut mis en état d’arrestation ; on l’accusa d’avoir dérobé l’argenterie de l’hôtel ; on fouilla ses bagages ; et l’on y trouva, en effet, quelques douzaines de couverts…

— Que les argousins y avaient déposés pendant son absence. L’invention n’est pas neuve.

— Ce qui ne l’est pas non plus, ce sont les propositions insidieuses et les menaces qui lui furent faites. Il ferma l’oreille aux propositions, et les menaces furent exécutées. Il fut condamné, pour le vol, à je ne sais plus combien de mois de prison, et la relégation s’ensuivit. Voici bientôt quatre ans de cela…

— Et tu dis que tu as reçu hier une lettre de lui ?

— Oui ; il m’apprend qu’il sera en France d’ici deux mois environ, et me charge d’une commission bien délicate et bien ennuyeuse. Tu sais qu’il a une fille ?

— Je l’ai entendu dire, à toi ou à Roger-la-Honte.

— Elle a dix-neuf ans, à peu près ; elle s’appelle Hélène…

— N’a-t-elle pas été adoptée par la femme d’un magistrat ?

— Pas tout à fait. Voici les choses : il y a une vingtaine d’années, Canonnier, qui n’en avait guère que vingt-cinq, rencontra par hasard, dans un jardin