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LE VOLEUR

Dieu décrocheront et raccrocheront, avec des gestes de revendeurs louches, tous les jésus-christs de Bonnat.

Allons, la Bourgeoisie peut dormir tranquille ; elle aura encore de beaux jours…

Je n’irai pas faire part de mes désillusions à l’abbé, pour sûr ; il se moquerait de moi, sans aucun doute. De quoi ai-je été me mêler là ? Est-ce que cela me regarde, moi, ce que peuvent dire et penser les futurs rénovateurs de la Société ? « Toutes les affaires qui ne sont pas nos affaires personnelles sont les affaires de l’État. » C’est Royer-Collard qui a dit ça ; et il avait bien raison.

Mais j’irai à Paris tout de même, pour me distraire ; il me semble que j’ai des lois d’airain qui me compriment le cerveau, et l’air de Londres est malsain pour ces maladies-là. C’est entendu ; je prends le train ce soir. « L’idée marche », disent les anarchistes. Moi aussi.


— Comment ! c’est toi ! s’écrie Ida que j’ai été voir, presque en arrivant. En voilà, une surprise ! Figure-toi que j’avais l’intention d’aller te faire une visite à Londres, dans deux ou trois jours.

— Vraiment ? Et en quel honneur ?

— Es-tu modeste ! Fais au moins semblant de croire que j’avais rêvé de toi, et embrasse-moi.

Je m’exécute, et Ida continue :

— La vérité, c’est que j’avais quelque chose à te dire, quelque chose de très important.

— Ah ! je devine : tu as revu la petite femme du monde…

— Renée ? Non. Je l’ai bien vue deux ou trois fois, en passant ; mais il n’y a rien à faire avec elle pour le moment. Comme elle a payé toutes ses dettes, elle peut avoir du crédit pendant un bon bout de temps ; et puis son mari a fait un héritage, je crois… Non, ce n’est pas d’elle que je voulais te parler. J’avais l’intention de te demander un conseil.