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LE VOLEUR

terrible éclate. Une bordée d’injures atroces fracasse l’escalier. Ce sont les compagnes des compagnons qui viennent insulter Mme  Talmasco, lui reprocher ceci, cela, et un tas d’et cætera. Le propriétaire n’a que le temps d’accourir et de pousser la porte sur le nez des furies, qui continuent à hurler dans la rue. Mme  Talmasco remonte, tout en larmes.

— Bah ! ce n’est rien, dit Talmasco ; un simple malentendu. Les compagnons se figurent, parce que nous savons tenir à peu près une plume, que nous ne cherchons qu’à prendre de l’autorité sur eux. Ils ont raison de se montrer jaloux de leur indépendance, c’est certain. Cependant, ils devraient se rendre compte que nous sommes en pleine période de lutte, que le mouvement révolutionnaire ne demande qu’à prendre une extension énorme, et que l’union est éminemment nécessaire. Ah ! la fraternité ! c’est si beau ! C’est tellement sublime !… Ce doit être l’auréole des temps nouveaux…

La voix monotone, féminine, continue à chantonner, sans clef de la, scandée par les sanglots et les soupirs de Mme  Talmasco, qui persiste à pleurer dans un coin. C’est assez pénible. Je me lève et Talmasco me dit, au moment où je le quitte.

— Le mot d’ordre de l’Anarchie doit être : Bonne volonté et Fraternité.

Oui, oui… certainement… évidemment… Mais, mais, mais…


Un soir, j’ai rencontré un anarchiste.

C’est un trimardeur, qui ne fait pas grand’chose, boit un peu, crie pas mal, ne s’inquiète guère de sa famille et n’a nul souci de ses enfants. Il serait fort heureux que la vie fût moins pénible pour ceux qui aiment le travail, moins vide pour ceux qui ne l’aiment pas, et que la misère cessât d’exister. Je crois qu’il ferait tout pour cela, ce vagabond ; mais je pense aussi qu’il n’a aucune confiance dans les moyens d’action préconisés par les apôtres de la révolution illégale.