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LE VOLEUR

sisté, ainsi que cela est arrivé trop souvent, à des spectacles plutôt regrettables. Je parle de la solidarité la plus large, non pas seulement entre nous, libertaires, mais entre nous et certains groupements socialistes que nos théories ont déjà séduits. Ah ! si nous avions pu nous entendre, tout ce que nous aurions pu faire dans les syndicats ouvriers !… C’est si beau, si grand, si puissant, la fraternité ! Ce sentiment-là… Mais on sonne ; permettez-moi d’aller ouvrir.

Talmasco descend. Tout à coup, j’entends un cri ; des cris : un bruit de lutte dans le corridor. Qu’y a-t-il ?… Mme Talmasco et moi nous nous précipitons… Mais Talmasco remonte déjà l’escalier, le col arraché, la cravate pendante et le nez en sang. Il explique ce qui s’est passé. Des compagnons, qui lui en veulent sans qu’il sache trop pourquoi, sont venus le demander sous un prétexte et, brusquement sans éclaircissements préalables, lui ont sauté à la gorge. Il a pu s’en débarrasser et les mettre à la porte sans leur faire de mal.

— Des compagnons trop pressés et qui ne raisonnent pas, déclare Talmasco en épongeant son nez meurtri. Ils ont tort, mais que voulez-vous ? On ne peut pas leur garder rancune de leur impatience. S’ils ne souffraient pas autant, ils réfléchiraient un peu plus. D’ailleurs, ceci vient à point nommé à l’appui de ma thèse. Si ces compagnons avaient une notion suffisante de l’idée de fraternité, ils comprendraient qu’au lieu de perdre notre temps à nous quereller entre nous, nous aurions tout intérêt à nous unir et à chercher à grossir nos forces contre l’ennemi commun. La fraternité, malheureusement, est un sentiment assez complexe, malgré sa simplicité apparente…

On sonne encore. Cette fois, c’est Mme Talmasco qui va ouvrir.

— Peut-être aussi, continue Talmasco, n’avons-nous point mis, nous autres théoriciens, toute la patience désirable…

Mais, sitôt la porte ouverte, en bas, un vacarme