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LE VOLEUR

noncer ce mot-là. Comme on voit bien qu’il a l’horreur de la viande ! Comme on le devine, comme on le sent — et comme on n’a pas tort ! — Car Balon n’est pas seulement un psychologue et un homme de science ; c’est encore un végétarien. Les légumes et les œufs constituent ses aliments : le lait est sa boisson. Bénédictin de la Cause, anachorète de la Sociale, moine du Progrès, confesseur de la Foi vivifiante, il n’a nul besoin de fouetter ses convictions avec des excitants vulgaires et de piquer sa pensée libre de l’aiguillon des stimulants équivoques. L’ébullition d’un potage aux herbes lui donne la note exacte de l’effervescence des désirs libertaires ; des œufs brouillés symbolisent pour lui l’état présent de la Société, dédaigneuse de l’harmonie nécessaire ; des salsifis, blancs au-dedans et noirs dehors, lui représentent le caractère de l’homme dont la bonté native ne fait point de doute pour lui ; il retrouve, dans le va-et-vient d’une queue de panais agitée par le vent, tous les frémissements de l’âme moderne ; et c’est dans du lait écrémé, image de la science, imparfaite, hélas ! qu’il cherche à étancher sa soif de progrès et de liberté.

Vie frugale, méthode de travail simplifiée, voilà le système de Balon. Simplifiée ! Que dis-je ? Réduite à sa plus simple expression. Car Balon a un procédé à lui. Je le connais, mais n’attendez point que je vous en fasse part. Le libraire qui lui fournit à forfait les vieux journaux qu’il découpe, et l’épicier qui lui vend sa gomme arabique ne vous en diraient pas davantage.

Aussi, ça tient, ce que fait Balon. C’est épais et solide. Il n’a rien inventé, je l’accorde. Mais il vous présente les choses d’une façon tellement inattendue ! C’est presque l’histoire de l’œuf de Colomb. Omne ex ovo. Quel œuf !

Balon est un pondeur. Il a déjà fait, des parasites de la Société, plusieurs vigoureuses peintures — à la colle. — De plus, c’est un couveur. Il mijote quelque