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LE VOLEUR

Eh ! bien, puisque tout le monde le veut, c’est bon : ils en auront un.

Ils l’ont.

Je me présente — très bien (j’en ai conservé l’habitude) — un matin d’avril, sur le coup de dix heures un quart.

— Je m’en souviendrai toute ma vie, disait plus tard Aglaé, la cuisinière ; il faisait un temps magnifique et le baromètre marquait : variable.

Quel présage !

Et là-dessus, si vous voulez bien, nous allons passer plusieurs années.


Qu’est-ce que vous diriez, à présent, si j’apparaissais à vous en costume de collégien ? Vous diriez que ma tunique est trop longue, que mon pantalon est trop court, que mon képi me va mal, que mes doigts sont tachés d’encre et que j’ai l’air d’un serin.

Peut-être bien. Mais ce que vous ne diriez pas, parce que c’est difficile à deviner, même pour les grandes personnes, c’est que je suis un élève modèle ; je fais l’honneur de ma classe et la joie de ma famille. On vient de loin, tous les ans, pour me voir couronner de papier vert, et même de papier doré ; le ban et l’arrière-ban des parents sont convoqués pour la circonstance. Solennité majestueuse ! Cérémonie imposante ! La robe d’un professeur enfante un discours latin et les broderies d’un fonctionnaire étincellent sur un discours français. Les pères applaudissent majestueusement.

— C’est à moi, cet enfant-là. Vous le voyez, hein ? Eh ! bien, c’est à moi !

Les mères ont la larme à l’œil.

— Cher petit ! Comme il a dû travailler ! Ah ! c’est bien beau, l’instruction…

Les parents de province s’agitent. Des chapeaux barbares, échappés pour un jour de leur prison d’acajou, font des grâces avec leurs plumes. Des redingotes 1830 s’empèsent de gloire. Des parapluies