Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.
171
LE VOLEUR

bascule ; le bourreau presse un bouton ; le couteau tombe ; un jet de sang… Ha ! l’horrible et dégoûtante abomination…

Devant moi, une femme se trouve mal, bat l’air de ses bras, va tomber à la renverse. Je la soutiens ; j’aide à la transporter, de l’autre côté de la place, chez un pharmacien dont la boutique s’est ouverte de bonne heure, aujourd’hui. Puis, je reprends le chemin que j’ai suivi hier soir ; le train entre en gare comme j’arrive à la station et, cinq minutes plus tard, je suis en route pour Paris.

Un journal que j’ai acheté m’apprend le nom et l’histoire du malheureux dont l’exécution, dit-il, a été fixée à ce matin. Un pauvre hère, chassé, pour avoir pris part à une grève, d’une verrerie où il travaillait, et qui n’avait pu, depuis, trouver d’ouvrage nulle part. Exaspéré par la misère et affolé par la faim, il s’était introduit, un soir, dans la maison d’une vieille femme. La vieille femme, à son entrée, avait eu une crise de nerfs, était tombée de son lit, s’était fendu le crâne sur le carreau de la chambre ; et l’homme s’était enfui, atterré, emportant une pièce de deux francs qui traînait sur une table. On l’avait arrêté le lendemain, jugé, condamné. Il n’avait point tué la vieille femme, ne l’avait même pas touchée ; les débats l’avaient démontré. Mais le réquisitoire de l’avocat général avait affirmé l’assassinat, l’assassinat prémédité, et avait demandé, au nom de la Société outragée, un châtiment exemplaire. Douze jurés bourgeois avaient rendu un verdict implacable, et la Cour avait prononcé la sentence de mort…

Et c’est pour exécuter cette sentence qu’on avait envoyé de Paris, hier soir, les bois de justice honteusement cachés sous la grande bâche noire aux étiquettes menteuses — menteuses comme le réquisitoire de l’avocat général. — C’est pour exécuter cette sentence qu’on avait fait prendre le train express au bourreau, à ce misérable monsieur triste qui désire que tous les hommes aient du pain, que les enfants puissent jouer