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LE VOLEUR

les gens qui passent continuellement dans la rue n’est pas une illusion, pourtant !… L’aube du jour commence à filtrer à travers les lames des persiennes. Je puis voir l’heure à ma montre : cinq heures un quart. Pourquoi ce brouhaha qui parvient jusqu’à mes oreilles ? Si j’osais regarder par la fenêtre… Ah ! que je suis sot ! C’est jour de marché, probablement ; les croquants se lèvent de bonne heure. Quel bête de rêve j’ai fait !… Cinq heures et demie. Il me faut à peine vingt minutes pour gagner la gare, et je ferais mieux d’attendre encore… Si je sortais, tout de même ?

Je sors. Je ferme la porte doucement derrière moi ; je descends vivement le perron par l’escalier de gauche ; je me retourne et je me dirige vers la grande place. Elle est noire de monde cette place !

Elle est noire de monde et quelque chose s’élève au milieu, quelque chose que je n’ai pas vu cette nuit. On dirait deux grandes poutres… deux grandes poutres au sommet desquelles se silhouette un triangle — un triangle aux reflets d’acier…


Je suis mêlé à la foule, à présent, — la foule anxieuse qui halète, là, devant la guillotine. — Les gendarmes à cheval mettent sabre au clair et tous les regards se dirigent vers la porte de la prison, là-bas, qui vient de s’ouvrir à deux battants. Un homme paraît sur le seuil, les mains liées derrière le dos, les pieds entravés, les yeux dilatés par l’horreur, la bouche ouverte pour un cri — plus pâle que la chemise au col échancré que le vent plaque sur son thorax. — Il avance, porté, plutôt que soutenu, par les deux aides de l’exécuteur ; les regards invinciblement tendus vers la machine affreuse, par-dessus le crucifix que tient un prêtre. Et, à côté, à petits pas, très blême, marche un homme vêtu de noir, au chapeau haut de forme — le bourreau — le Monsieur triste de la nuit dernière.

Les aides ont couché le patient sur la planche qui