Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/183

Cette page a été validée par deux contributeurs.
166
LE VOLEUR

prendrez ensuite la troisième rue à droite, une rue en pente ; je descends cette troisième rue. Vous vous trouverez ensuite sur une grande place, la place des Tribunaux, que vous reconnaîtrez facilement à deux grands bâtiments contigus, le Palais de Justice et la Prison. M’y voici, tout justement. Vous traverserez cette place en laissant le Palais de Justice derrière vous, et vous vous engagerez dans une large rue dont l’entrée est ornée de deux grandes bornes cerclées de fer. Je traverse la place, j’aperçois les deux bornes, et je pénètre dans la rue en la fouillant rapidement du regard. Personne ; personne en arrière, non plus ; pas une lumière aux fenêtres. Le numéro 7 ? Le voici. Je monte les marches du perron, la clef à la main. Comment l’abbé Lamargelle s’est-il procuré cette clef ? Je l’ignore ; mais je suis très content qu’il me l’ait remise hier soir ; il me suffit ainsi, au lieu de me livrer à une effraction, de l’enfoncer doucement dans la serrure, de la tourner plus doucement encore, et…

Et j’entre tranquillement, comme chez moi, en légitime propriétaire. Avant de refermer complètement la porte, cependant, j’attends quelques instants, l’oreille au guet, dans l’immobilité la plus absolue. Deux sûretés valent mieux qu’une ; bien que ce soit là une précaution inutile. Il n’y a personne dans cette maison, j’en suis sûr.

Un bâtiment occupé n’a pas du tout la même odeur qu’une maison que ses habitants ont quittée, serait-ce seulement depuis deux heures. La différence est énorme, bien que les honnêtes gens ne s’en aperçoivent pas ; leur sensibilité olfactive est tellement émoussée ! Mais, sous la pression de la nécessité, le sens de l’odorat se développe chez le malfaiteur, acquiert une finesse remarquable et lui assure la notion des odeurs, des particules impalpables des corps, dont le commun des mortels ne soupçonne même pas l’existence. Le voleur, enfant de la nature, sait flairer la présence de ses contemporains civilisés. Mille