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LE VOLEUR

Le train file rapidement, s’arrête à des stations quelconques où clignotent des becs de gaz, où veillent des lanternes rouges, où sifflent des locomotives, et repart à toute vitesse dans la nuit… je finis par m’endormir, moi aussi.

Une exclamation du Monsieur jovial me réveille.

— Ah ! sacredié ! s’écrie-t-il, ma montre s’est arrêtée… Si je ne craignais de vous déranger, Monsieur, continue-t-il en se tournant vers moi, je vous demanderais de me dire l’heure.

Je tire majestueusement de mon gousset un chronomètre superbe que j’ai volé en Suisse, il y a trois mois.

— Il est dix minutes passé onze heures, dis-je.

— Je vous remercie infiniment. Nous disons : onze heures dix… Nous serons à N. dans un quart d’heure… Vous avez là une bien belle montre, Monsieur.

Oui. J’en ai beaucoup comme ça. Elles me reviennent à six sous le kilo, à peu près… Je me le demande : quelle idée peut bien se faire du voleur le bourgeois trivial ? À ces gens qui vont par bandes, tout ce qui sort du troupeau doit paraître horrible, comme tout semble jaune à ceux qui ont la jaunisse. S’ils pouvaient savoir ce que je suis, cet homme triste sauterait par la portière du wagon pour se sauver plus vite et cet homme jovial aurait une attaque d’apoplexie.

Le train ralentit sa vitesse, entre en gare, s’arrête. Je saute rapidement sur le quai.


Me voilà dans la ville ; une ville de province, mal éclairée, aux maisons closes, et où je n’ai jamais mis les pieds. Il s’agit de me souvenir des indications que m’a données l’abbé. Voyons un peu.

Vous suivrez, en sortant de la gare, une grande avenue plantée d’arbres ; je suis la grande avenue, plantée d’arbres. Vous prendrez la quatrième rue à gauche ; je prends la quatrième rue à gauche. Vous