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LE VOLEUR

s’il y avait lieu. Mais que le capital qu’ils économisent ne soit jamais représenté par une propriété réelle dont ils auraient la jouissance exclusive. Du papier, rien que du papier ; autrement, ils deviendraient trop exigeants.

— Je ne comprends pas bien, déclare le Monsieur triste.

— Permettez-moi de vous donner un exemple. Les mineurs du bassin de la Loire possèdent presque tous la petite maison et le jardin dont vous parlez ; ils y vivent bien, ne se refusent pas grand’chose. Monsieur, il n’y a pas d’êtres plus insatiables et plus tyranniques envers leurs patrons. Ils ne sont jamais contents, bien qu’ils soient parvenus à arracher des salaires exorbitants, et vont mettre sur la paille, un de ces jours, les capitalistes qui les emploient. Les mineurs des départements du Nord, au contraire, habitent des tanières infectes, vivent de pommes de terre avariées, croupissent dans la plus abjecte destitution ; eh ! bien, ils ne se plaignent pas, ou d’une façon si timide que c’en est ridicule ; savez-vous pourquoi ? Parce que l’habitude de la misère les oblige à la résignation. Et il est inutile de vous dire si les actions des mines qu’ils exploitent valent de l’or en barre ! Donnez-leur le bien-être de leurs confrères du Centre, et ils deviendront aussi intraitables. Ces gens-là sont ainsi faits : plus ils sont heureux, plus ils veulent l’être. Dans des conditions pareilles, ce serait jouer un jeu de dupes, et même agir contre leurs intérêts, que de leur accorder l’aisance réelle que vous rêvez pour eux. Non ; qu’ils possèdent du papier, s’ils en ont les moyens, du papier dont les capitalistes puissent hausser ou baisser la valeur à leur gré. Et puis, nous sommes à l’époque du papier. On fait tout, à présent, avec du papier.

— On fait même de bien mauvais livres, dit le Monsieur triste en hochant la tête.

— Il n’y a point de mauvais livres, répond le Monsieur jovial. Il y a des livres ; et il n’y en a pas