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LE VOLEUR

comment voulez-vous que des condamnés qui ne travaillent pas assidûment se repentent de leurs crimes et reviennent au bien ? Et que désire un philanthrope, sinon le relèvement du niveau de la moralité ?… Un philanthrope, je vous le demande, ne fait-il point passer cette considération avant toutes les autres ?

— Si, certainement, répond le Monsieur triste d’une voix lugubre.

— Il est bien clair qu’il se trouverait des mauvaises têtes qui refuseraient de se soumettre au régime salutaire que je vous expose. Ces têtes, Monsieur, il faudrait les faire tomber ! Sans pitié. Il est nécessaire d’arracher l’ivraie, car elle étoufferait le bon grain. Savez-vous, Monsieur, quelle est la principale cause de cette démoralisation dont on se plaint un peu trop, peut-être, mais qui pourtant nous menace ? C’est qu’on applique trop rarement la peine de mort. Un chef d’État conscient de ses devoirs ne devrait jamais faire grâce, Monsieur ! Il y va du salut de la Société. Ne pensez-vous point qu’on ne guillotine pas assez ?

Le Monsieur triste ne répond pas.

— Autant l’on aurait fait preuve de sévérité envers les méchants, continue le Monsieur jovial au bout d’un instant, autant il faudrait se montrer paternel pour les autres. La bonté est obligatoire aujourd’hui. Sa nécessité nous est démontrée mathématiquement. Mathématiquement, Monsieur ! Il conviendrait d’assurer d’agréables délassements aux gens pauvres mais honnêtes, et de leur faciliter l’accès à la propriété.

— Ah ! oui, dit le Monsieur triste. Justement ! Que chacun d’eux puisse avoir une petite maison, un jardin ; un jardin où les enfants pourraient jouer. C’est si joli, les arbres, les fleurs !…

— Pas du tout ! s’écrie le Monsieur jovial. Une maison ! Un jardin ! Jamais de la vie ! Qu’ils mettent de l’argent de côté, oui ; mais qu’ils achètent des valeurs, avec leurs épargnes ; de petites valeurs, des coupures de vingt-cinq francs, par exemple, qu’il faudrait créer à leur usage ; ils en toucheraient les intérêts,