Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/167

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
LE VOLEUR

Au moment où il allait me quitter, je me décidai à lui poser une question que j’avais eu souvent envie de faire à d’autres, à Paris, depuis de longs mois, mais que je n’avais jamais eu le courage de poser à personne.

— Dites-moi, demandai-je, n’avez-vous pas eu de nouvelles de mon oncle ?

— Oui et non, répondit-il d’un air un peu embarrassé. J’ai appris que votre oncle avait éprouvé, ces temps derniers, des pertes d’argent, peu considérables étant donnée sa fortune, mais qui l’avaient néanmoins décidé à liquider ses affaires. Je ne puis vous dire exactement ce qu’il fait en ce moment. Je crois, pour employer une expression vulgaire, qu’il fait la noce, la bête et sale noce. C’est triste ; mais que voulez-vous ? Certains hommes s’efforcent d’être pires qu’ils ne peuvent.

— J’avais eu plusieurs fois l’intention de prendre des renseignements à son sujet, dis-je ; je vois que j’ai aussi bien fait de m’en dispenser. Et ma cousine, ajoutai-je… ma cousine Charlotte ?…

L’embarras de l’abbé parut augmenter.

— Je ne sais rien, finit-il par répondre sans me regarder ; mais tout est sans doute pour le mieux ; oui, tout doit être pour le mieux. Ne prenez point de renseignements, c’est préférable ; n’en prenez pas…


C’est de cette fin de conversation, surtout, que je me souviens aujourd’hui, en relisant la dépêche qu’Annie m’a apportée. Certes, il vaut mieux que je ne prenne point de renseignements, que je ne cherche pas à connaître la vérité.

Je l’ai devinée, cette vérité que l’abbé n’a pas osé m’avouer, car il est au courant, certainement, de mes relations avec ma cousine. Charlotte est mariée. Elle est mariée, et tout est fini entre nous, pour jamais… Je ne puis pas dire ce que j’avais pensé, je ne puis pas dire ce que j’avais espéré. Je ne sais pas. Ce sont des songes que j’ai faits, toujours des songes et tou-