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LE VOLEUR

Ce qui m’étonne, moi, c’est qu’avec un pareil mot d’ordre, nos contemporains croient encore avoir besoin d’une religion et d’une morale.

— Les sentiments religieux, dit l’abbé, ne sont pas incompatibles avec les tendances actuelles ; loin de là. Je me suis même demandé plus d’une fois, en disant ma messe, si la fièvre du vol, la rage de l’exploitation, ne finiraient pas par créer une folie religieuse spéciale. Le repentir, une des colonnes du christianisme, qui semble faire des mamours à l’homme et lui dire : « Tu peux mal agir, à condition que tu fasses semblant de regretter tes méfaits », est une excellente invention, merveille de lâcheté et d’hypocrisie, admirablement adaptée aux besoins modernes. Je ne vous tracerai point, n’est-ce pas ? un parallèle entre cet engageant repentir chrétien et l’effroyable Remords de l’antiquité. Ce serait déshonorer le Remords… Quant à la morale, il n’y en a jamais eu qu’une. Ce n’est pas celle qui dit à l’homme : « Sois bon », ou « sois pur », ou « sois ceci, ou cela » ; c’est celle qui lui dit simplement : « Sois ! » Voilà la morale. Elle n’a rien à voir avec la Société actuelle. La morale ne saurait être publique, quoi qu’en dise le Code… Vous voulez peut-être parler de la moralité ? C’est un succédané pitoyable. Telle qu’elle est, pourtant, elle a plané assez haut, jadis. Mais on l’a fait descendre si bas ! La moralité, c’est comme l’écho ; elle devient muette quand on s’en rapproche. Ce n’est pas une chose sérieuse… En somme, de toute espèce de foi, on ne garde plus que ce qui peut s’accommoder aux vils besoins du jour, des débris sans nom qui servent à étayer le piédestal du Veau d’or. Certainement, il eût été plus propre de se défaire franchement de ces vieilles croyances divines ou humaines, qui n’ont point été sans grandeur, au bout du compte. Au lieu d’être découpées en quartiers sur l’étal des simoniaques, au lieu d’agoniser dans la fétide atmosphère des prétoires, elles auraient fini dans l’embrasement majestueux d’une