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LE VOLEUR

tine et je veux l’ignorer… Vous me demandez pourquoi il me faut beaucoup d’argent ? Pour arriver à un but que je désire atteindre, ou simplement pour devenir riche.

— Bon, dis-je, je supposerai que vous voulez devenir riche ; et que votre passion de l’argent vous empêche d’hésiter à compromettre le caractère sacré dont vous êtes revêtu.

— Oh ! répondit l’abbé en riant, ma passion ne me ferme pas les yeux à ce point-là. Je fais fort attention à ne pas le compromettre, ce caractère, sacré pour tant d’imbéciles ; c’est le meilleur atout, dans mon jeu. Et la franchise avec laquelle je vous fais mes confidences devrait être pour vous le meilleur garant de ma bonne foi.

— Mon Dieu, dis-je, je ne vois point pourquoi je ne vous croirais pas, après tout. L’Église n’a jamais beaucoup pratiqué le mépris qu’elle affecte pour les richesses…

— Et elle ne s’est jamais fait d’illusions sur leur source. Sans aller trop loin, n’est-ce pas Bourdaloue qui a dit qu’en remontant aux origines des grandes fortunes, on trouverait des choses à faire trembler ? Relativement, Bourdaloue est bien près de nous ; mais quelle distance, pourtant, de son époque à la nôtre ! Quelle descente dans l’infamie, du Roi-Soleil au Roi Prudhomme ! Je vais vous citer un simple fait dont le caractère symbolique ne vous échappera pas : la maison dans laquelle Fénelon écrivit Télémaque, sur la Petite Place, à Versailles, est aujourd’hui un lupanar.

— J’espère, dis-je, qu’on aura placé une plaque commémorative sur le bâtiment.

— Je l’ignore ; mais si l’on a scellé la plaque dont vous parlez, soyez sûr qu’on l’a mise au-dessous du gros numéro. Nous sommes à l’époque des chiffres, qui ont leur éloquence, paraît-il. Et je crois qu’ils l’ont, en effet.

— Ils ont l’éloquence de Guizot : Enrichissez-vous !