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LE VOLEUR

par prendre au sérieux ; et vous avez espéré me faire partager votre crédulité. Je dois vous déclarer que je n’ai aucun goût pour les fables. Et puis, écoutez : j’ai un piano, comme vous le remarquiez il n’y a qu’un instant — mais je ne chante pas. — Vous comprenez ?

— Très facilement. Je suis au courant des moindres sous-entendus de notre belle langue, et aucune de ses finesses ne m’est étrangère. Mais vous vous méprenez sur mes sentiments. Soyez tranquille ; je ne viens pas vous assassiner avec un fer sacré. J’avais l’intention, pour vous exposer ce que j’ai à vous dire, d’observer une gradation conforme aux usages ; j’irai plus brutalement au fait, puisque vous semblez le désirer. Vous êtes un voleur. — Ne protestez pas ; c’est un métier pas comme un autre. — Je disais : vous êtes un voleur… Moi aussi.

— Vous… ?

— Pourquoi pas ? Croyez-vous avoir le monopole du cambriolage ? À la vérité, je ne vous fais pas, sur ce terrain pour lequel vous avez une préférence exclusive, une concurrence fort redoutable ; bien que j’aie mis la main à la pâte, plus d’une fois. J’emploie aussi d’autres procédés ; je suis un éclectique, voyez-vous. Mais il me faut beaucoup d’argent…

— Pourrais-je vous demander pourquoi ?

— Tant que vous voudrez ; mais je vous préviens que je ne vous répondrai pas ; j’aime mieux ça que de vous raconter des histoires, et je tiens à garder secrets les motifs de mes actes… Voyons, ne faites donc pas cette figure-là. Je suis un confrère, je vous dis. Et, d’ailleurs, qu’avez-vous à craindre de moi, ici ? En admettant que vous me fassiez des aveux que je ne vous demande pas, car votre existence m’est connue depuis a jusqu’à z, comment me serait-il possible de m’en servir contre vous ? Si j’avais voulu vous dénoncer, vous admettrez que j’aurais pu le faire sans me mettre en peine de vous rendre une visite. Mais finissons-en ; votre méfiance à mon égard est enfan-