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LE VOLEUR

les choses… et ce pouvoir extraordinaire de vous amener à les envisager comme lui ! Je n’aurais jamais cru, je l’avoue, qu’un voleur pût être un aussi parfait gentleman. Il m’a fait revenir de bien des préjugés. N’attribuez qu’à l’honneur de sa connaissance le peu d’étonnement que j’ai eu à me trouver, en votre présence, devant un homme aussi distingué.

Je m’incline profondément.

— Comme on voit bien, continue-t-elle, que nous vivons à une époque de progrès ! Je suis persuadée, Monsieur, que vous avez reçu une excellente éducation. Je suis discrète et n’aime pas à poser de questions, mais quelque chose me dit que vous sortez de Polytechnique ; il me semble vous voir avec un chapeau à cornes et l’épée au côté. Et dire que vous avez peut-être une pince-monseigneur dans votre poche ! C’est à faire trembler… Mais votre profession est tellement romanesque ! Comme elle me plairait, si j’étais homme ! Vous devez avoir eu des tas d’aventures ? Racontez-m’en une, je vous en prie. J’adore ça.

— J’en suis désolé, Madame, mais je ne saurais trouver dans l’histoire de mon existence aucun épisode d’un intérêt captivant. Les événements dont j’ai été le témoin ou l’acteur sont plutôt sombres que pittoresques. Si je vous en faisais le récit, vous auriez certainement des cauchemars ; et je ne voudrais pour rien au monde vous faire passer une mauvaise nuit.

— Je prends note de vos intentions, répond Renée en souriant. Mais vous ne me surprenez pas ; les voleurs sont la modestie même. M. Canonnier était comme vous ; il n’a jamais rien voulu me raconter. À part ça, il était charmant. Il se montrait plein de reconnaissance pour les renseignements que je lui fournissais ; il est vrai que mes tuyaux sont toujours excellents. Il me donnait 50 pour cent sur le produit des opérations. Ce n’est peut-être pas énorme ; mais il paraît que c’est le prix.

— Non, Madame, dis-je froidement, car je me sou-