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V
AVANT-PROPOS

— comme je l’ai écrit plus haut et comme l’avait écrit, d’avance, le sieur Randal. — Tant pis pour lui ; tant pis pour moi. Je sais ce que ma conscience me reproche ; mais il n’est pas mauvais qu’on rende la pareille aux filous, de temps en temps. En fait de respect de la propriété, que Messieurs les voleurs commencent — pour qu’on sache où ça finira.

Finir ! C’est ce livre, que je voudrais bien avoir fini ; ce livre que je n’ai pas écrit, et que je tente vainement de récrire. J’aurais été si heureux d’étendre cette prose, comme le corps d’un malandrin, sur le chevalet de torture ! de la tailler, de la rogner, de la fouetter de commentaires implacables — de placer des phrases sévères en enluminures et des conclusions vengeresses en culs-de-lampe ! — J’aurais voulu moraliser — moraliser à tour de bras. — Ç’aurait été si beau, n’est-ce pas ? un bon jugement, rendu par un bon magistrat, qui eût envoyé le voleur dans une bonne prison, pour une bonne paire d’années ! J’aurais voulu mettre le repentir à côté du forfait, le remords en face du crime — et aussi parler des prisons, pour en dire du bien ou du mal (je l’ignore.) — J’ai essayé ; pas pu. Je ne sais point comment il écrit, ce Voleur-là ; mes phrases n’entrent pas dans les siennes.

Il m’aurait fallu démolir le manuscrit d’un bout à l’autre, et le reconstruire entièrement ; mais je manque d’expérience pour ces choses-là. Qu’on ne m’en garde pas rancune.

Une chose qu’on me reprochera, pourtant — et avec raison, je le sais, — c’est de n’avoir point introduit un personnage, un ancien élève de l’École Polytechnique, par exemple, qui, tout le long du volume, aurait dit son fait au Voleur. Il aurait suffi de le faire apparaître deux ou trois fois par chapitre et, en vérité, — à condition de ne changer son costume que de temps à autre — rien ne m’eût été plus facile.

Mais, réflexion faite, je n’ai pas voulu créer ce personnage sympathique. Après avoir échoué dans ma première tentative, j’ai refusé d’en risquer une seconde. Et puis, si vous voulez que je vous le dise, je me suis aperçu qu’il y avait là-dedans une question de conscience.

Moi qui ai volé le Voleur, je ne puis guère le flétrir.