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LE VOLEUR

le monde, et allez donc ! au hasard de la fourchette. Il doit y avoir cependant de l’argent bien répugnant, même à voler… Eh ! bien, mes amis, ces papiers représentent autre chose encore ; ils représentent notre univers civilisé. Le monde actuel, voyez-vous, du petit au grand, c’est une Société anonyme. Des actionnaires ignorants et dupés ; des conseils d’administration qui se croisent les bras et émargent ; des hommes de paille qui évoluent on ne sait pourquoi ; et toutes les ficelles qui font mouvoir les pantins tenues par des mains occultes…

— Voilà un beau discours, dit Roger-la-Honte. Monsieur Paternoster, il faut poser votre candidature aux prochaines élections générales. Mais que nous offrez-vous ?

— Diable ! votre ton est sec, ricane Paternoster. Mais vous avez sans doute le droit de parler haut. Vous devez être riches ?

— Nous ? Non. Nous volons, hélas ! simplement pour nous mettre en mesure de voler.

— Je vois ça. Comme les fonctionnaires recueillent des taxes avec le produit desquelles on les paye pour qu’ils récoltent de nouveaux impôts… La chaîne sans fin de l’exploitation roulant sur la poulie folle de la sottise humaine… Eh ! bien, Messieurs, voici ce que je vous propose : je garde la Rente, les Chemins de fer et le Suez, je vous rends toutes les valeurs industrielles, et je vous donne cinquante mille francs.

— Vous plaisantez, dit Roger-la-Honte ; cinquante mille francs, c’est ridicule. Et, quant aux valeurs industrielles, que voulez-vous que nous en fassions ?

— Renvoyez-les à leur propriétaire, répond Paternoster. Figurez-vous que vous êtes des potentats et que vous faites remise d’une partie de ses taxes à l’un de vos fidèles sujets ; la clémence convient à la grandeur et le vol est un impôt direct, perçu indirectement par les gouvernements. Il y aurait beaucoup à dire là-dessus. En tous cas, de tous les impôts, le vol est celui que les civilisés payent le plus douloureuse-