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LE VOLEUR

une femme très jolie, qu’il n’aimait guère — car il n’a d’autre passion que celle de l’argent — et qui ne l’aimait pas du tout. Elle était la maîtresse d’un député qui venait d’être fait ministre, et qui l’a encore été depuis. Paternoster — j’ai oublié le nom qu’il portait en France — le savait, mais fermait les yeux. Cela ne faisait le compte ni du ministre ni de la femme qui auraient été fort aises qu’un divorce leur procurât la liberté complète qu’ils désiraient. Comment parvinrent-ils à faire entendre raison, sur ce chapitre, à Paternoster ? C’est assez facile à expliquer par le simple énoncé des événements qui se succédèrent avec rapidité. D’abord, sur la plainte fortement motivée de la femme, un divorce fut prononcé contre Paternoster ; le soir même, cet excellent notaire mettait la clef sous la porte de son étude et disparaissait avec les épargnes confiées à ses soins vigilants ; quinze jours après, il était arrêté ; et, deux mois plus tard, condamné à dix ans de travaux forcés ; il est inutile de te dire que les fonds qu’il s’était appropriés, avaient été dilapidés dans des opérations de Bourse, et qu’on n’en retrouva pas un centime.

— Je le crois facilement. Mais je ne vois point, jusqu’ici, quel bénéfice Paternoster avait retiré de sa complaisance.

— Attends un peu. Trois jours après sa condamnation, il fut relâché clandestinement.

— Quoi ! Mis en liberté ?

— Absolument. Le ministre n’avait eu qu’un mot à dire… Mais ne fais donc pas semblant d’ignorer comment les choses se passent en France… Paternoster vint donc retrouver à Londres les écus dont il avait dépouillé ses clients, et qui, au lieu de cascader à la Bourse, étaient empilés soigneusement dans les coffres d’une banque anglaise. Je me rappelle l’avoir vu arriver ici. J’étais un soir à Victoria Station, par hasard, et j’ai vu descendre du train continental le bonhomme à figure de renard que tu vas voir tout à l’heure et que j’ai bien reconnu, depuis, dans le Pa-