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LE VOLEUR

— Et cette brusque prospérité n’a pas éveillé les soupçons ?

— Pas du tout. Ma sœur Eulalie, l’actrice, venait de quitter le théâtre. Elle avait fait un héritage ; un vieux chanoine lui avait laissé en mourant tout ce qu’il possédait.

— Un chanoine qui fréquentait les coulisses ?

— Que tu aimes les complications ! Le chanoine était âgé de soixante-douze ans quand Eulalie en avait dix à peine. Il lui a légué sa fortune parce qu’il avait beaucoup d’affection pour elle, voilà tout ; une lubie de vieillard sans famille. Eulalie avait donc renoncé à la scène et à ses pompes ; elle était censée avoir avancé à mes parents l’argent nécessaire à leur établissement. Censée, tu comprends. La vérité, c’est qu’elle eût été incapable de le faire, car elle est aussi avare que dévote.

— Dévote ?

— Dans la dévotion jusqu’au cou, depuis que mon père a été arrêté. Elle parle de se faire religieuse. Elle demeure aux Batignolles, à côté de l’église. La dernière fois que je l’ai vue, je l’ai trouvée au milieu de crucifix, de livres de piété et de chapelets ; elle m’a donné un scapulaire qui doit me porter bonheur — nous allons voir ça ce soir ; — elle m’a dit qu’elle prierait le Bon Dieu pour moi deux fois par jour.

— C’est charmant. Et ton autre sœur, elle est encore au couvent ?

— Non ; elle en est sortie une fois mes parents installés à Vichy. Mais, un beau jour, Broussaille — elle ne s’appelle pas Broussaille, mais on l’appelle Broussaille — est arrivée à apprendre, je ne sais comment, ce qui s’était passé, et pour mon père, et pour moi.

— Quel coup, pour une jeune fille élevée au couvent, à l’ombre de la blanche cornette des nonnes !

— Ne m’en parle pas. Broussaille, qui n’est pas bête, a tout de suite compris la leçon que lui donnait