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LE VOLEUR

filles et un garçon, mais c’est moi qui lui ai donné le plus de soucis.

— Alors tes parents sont morts ?

— Non, non ; ils n’ont même pas envie de mourir.

— Ah ! c’est que, en parlant d’eux, tu dis : c’étaient de braves gens, ils étaient…

— Certainement : mais tu vas voir pourquoi tout à l’heure. On voulait faire de moi un architecte, mais les épures et les lavis m’inspiraient une aversion profonde. À seize ans, lassé de discussions sans fin avec ma famille, je me suis engagé dans les équipages de la flotte.

— Et quand tu es revenu, tu t’es trouvé dans la même position que lorsque tu étais parti ?

— Exactement. Mes parents ne me rudoyaient pas, mais ils me faisaient entendre qu’il n’était guère convenable, ni même honnête, de rester inactif ; ils me citaient l’exemple de mes sœurs ; l’aînée, Eulalie, avait étudié la déclamation, commençait à paraître avec succès sur quelques scènes et faisait parler d’elle comme d’une actrice d’avenir ; mes parents, sans l’encourager (car ils savaient bien que l’honnêteté, au théâtre, est une exception, quoiqu’elle existe), n’avaient point voulu mettre obstacle à sa vocation et commençaient à en être fiers, in petto, quand son nom figurait sur le journal ; quant à ma plus jeune sœur qui n’avait que seize ans, elle était encore au couvent et les religieuses ne tarissaient pas d’éloges sur son compte ; application, dévotion, bonne conduite et bonne santé, elle avait tous les premiers prix. Moi, je ne savais que faire. Je me sentais attiré fortement vers la peinture : mais elle exige des études longues et coûteuses. Comment trouver le moyen de les entreprendre ? Je savais mes parents peu disposés à m’aider… Et j’échafaudais projet sur projet, plan sur plan, principalement dans les galeries des musées où j’aimais déjà à promener mes pensées, comme je l’aime encore aujourd’hui.