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LE VOLEUR

— Il ne faudra pas faire de bruit ? dis-je, pendant qu’il ouvre la porte.

— Fais tout le bruit que tu pourras, au contraire ; j’ai ramené des demoiselles plus de quatre fois et les habitants de la maison, s’ils ne dorment pas, se figureront que je continue. Les femmes, ici, ont le pas léger comme des femelles d’éléphants en couches.

Nous montons l’escalier à la lueur d’allumettes nombreuses dont la dernière, quand Roger a ouvert une porte au quatrième étage, sert à enflammer une bougie placée sur un guéridon. Ce guéridon, un lit de fer, une commode-toilette et deux chaises constituent tout l’ameublement de la chambre où mon nouvel ami a élu domicile.

— Tu penses bien, dit-il, que ce n’est pas pour mon plaisir ; à quoi servirait de se faire voleur s’il fallait se contenter d’un logement digne tout au plus d’un sergent de ville ! Mais les affaires sont les affaires. Je devais nécessairement me placer à proximité de ma future victime, de façon à étudier ses habitudes ; j’ai trouvé cette chambre à louer dans la maison voisine de la sienne, et tu penses si j’ai laissé échapper l’occasion… Ah ! le dégoûtant personnage que cet honnête industriel, comme dit Issacar… Nous a-t-il assez assommés et énervés ce soir !

— J’ai vu le moment, dis-je, où j’allais lui lancer une carafe à la tête.

— Bah ! À quoi bon ? Ils sont trop. En tuer un, en tuer cent, en tuer mille, cela n’avancerait à rien et ne mettrait un sou dans la poche de personne ; ce n’est pas sur eux qu’il faut se livrer à des voies de fait, c’est sur leur bourse.

— Le fait est que ce sera plus dur encore, pour lui, de trouver demain matin son coffre-fort éventré et vide que de se voir coller au mur de son usine par les parents et les amis des ouvriers qu’il a sacrifiés à sa rapacité.

— Je crois aussi que le châtiment sera plus dur ; en tous cas, il sera certainement plus long. Ah ! quelle