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essaye de mettre en vedette, de temps en temps, et qui font ce qu’ils peuvent pour se mettre en vente. Millevoye, très ingrat envers la mémoire du coloré Norton, son vieux complice qui s’est décidé à changer de vie (il a choisi la vie éternelle), fait toute la réclame possible à ces messieurs ; Coppée les gratifie libéralement de vers de sa décomposition ; et perpètre même en leur faveur des complaintes à illustrations, pour la confection desquelles Lavedan, rince-bouche des marcheurs édentés, lui prête son concours. Mais ces héros ne resplendissent pas assez pour attirer et retenir l’admiration des foules ; leur gloire est incontestable ; trop sombre, pourtant ; aussi noire que leurs chevaux, leurs âmes, et leurs victimes. Surtout, ils sont trop nombreux. Depuis qu’il suffit de massacrer quelques douzaines de moricauds pour devenir héroïque, les preux pullulent, et se gênent mutuellement ; ils ne savent réellement plus où donner de la tête (de nègre). Le héros est à vil prix ; même, on le liquide au rabais ; et les maris qui en refusent aux envies de leurs femmes sont vraiment bien pingres.

Mais la France, elle, n’a pas d’envies. Elle est toujours belle, comme autrefois, au grand soleil de messidor ; mais elle a cessé d’être grosse. Les sabres prussiens, à Sedan, lui ont enlevé les ovaires. Elle est prête à se laisser faire par un aventurier, voire par plusieurs ; elle se laisse faire de temps en temps, sans façons, sur le pouce ; parce que ça peut l’amuser, parce que ça fait toujours passer le temps, surtout parce qu’elle sait qu’il n’y a pas de danger que ça prenne. Mayeux avait promis de lui amener quelqu’un de sérieux, ces temps-ci ; mais, à part ses héros-négriers, qui ne sont pas en formes et se dégonflent dans l’escalier, il n’a encore trouvé personne. Il se présenterait bien lui-même, sous une apparence ou sous une autre — peut-être sous celle de Cavaignac — mais il n’ose pas ; il se sent trop vilain, trop marmiteux et trop contemptible. Et même, à vrai dire, je ne sais pas si Mayeux tient beaucoup à jouer en personne le grand premier rôle, à être son propre régisseur ; je crois qu’il préférerait dé-